La nécessité du théâtre – Paris / Avignon, 5 min d’arrêt #01

Bienvenue dans ce nouveau format sur Esperluette, si vous me suivez depuis un moment vous savez que j’adore le spectacle vivant et en particulier le théâtre. Avec l’annulation du Festival d’Avignon que je suis depuis 7 ans déjà, clairement je suis en manque. C’est de là qu’a émergé l’idée de créer sur le podcast une chronique culturelle. Une idée que j’ai donnée pendant le confinement à l’actrice Karine Ventalon, au détour d’une conversation.

L’idée lui a plu, après quelques échanges la chronique que vous allez entendre chaque mois est née. Elle s’appelle paris-Avignon, 5 minutes d’arrêt et je suis vraiment ravie que Karine vienne apporter sa voix chaleureuse, son talent & son amour des beaux textes à l’aventure podcastique Esperluette.

Je vous laisse avec Karine qui pour cette première va vous parler… de théâtre bien sûr.

Bonne écoute !

Karine Ventalon


Retrouvez Karine Ventalon sur sa page Facebook, son compte Instagram et son site internet

Pour les malentendants, l’épisode est disponible en version sous-titrée sur ma chaîne Youtube : 

Ou vous pouvez lire sa retranscription :

Marie-Cécile Drécourt :

« Bienvenue dans ce nouveau format sur Esperluette. Si vous me suivait depuis un moment vous savez que j’adore le spectacle vivant et en particulier le théâtre. Avec l’annulation du Festival d’Avignon que je suis depuis sept ans, clairement je suis en manque. C’est comme ça qu’a émergé l’idée de créer sur le podcast une chronique culturelle, une idée que j’ai donné pendant le confinement au détour d’une conversation l’actrice Karine Ventalon. L’idée lui a plu alors après quelques échanges la chronique que vous allez entendre chaque mois est née. Elle s’appelle Paris-Avignon, 5 minutes d’arrêt et je suis vraiment ravie que Karine vienne apporter sa chaleureuse voix, son talent et son amour pour les beaux textes à l’aventure podcastique Esperluette. Je vous laisse avec Karine qui pour cette première va vous parler de théâtre bien sûr. Bonne écoute ! »

[musique]

Karine Ventalon :

« Bonjour à tous. Pour ce premier podcast j’avais envie de vous parler de la nécessité du théâtre ce qui me semble un sujet important en ces temps compliqués. Nécessité du théâtre pour ceux qui le pratiquent tels que les comédiens, metteurs en scène, techniciens, mais également et avant tout pour le public. Qu’est-ce que cela représente pour vous que le théâtre ? Une sortie, un divertissement, une parenthèse culturelle ? Que recherchez-vous exactement lorsque vous allez  au théâtre ? A vous évader, à oublier ou bien au contraire à vous identifier aux personnages et donc à vous retrouver un peu ? Peut-être y allez-vous parfois sans attente particulière mais en espérant toutefois être surpris, choqué, amusé, ému ou bien peut-être est-ce tout cela à la fois ? J’ai donc entrepris de faire quelques recherches. Je suis tombée sur une conférence prononcée par Louis Jouvet à l’université de Boston en 1951, conférences à travers laquelle, entre autres, il nous livre la définition du théâtre selon Claudel, Giraudoux et enfin sa propre vision du théâtre. Je vous lis donc ces quelques paragraphes de Louis Jouvet extrait de sa conférence en commençant par l’analyse de ce qu’est le théâtre pour Claudel.

[musique]

D’après Claudel l’homme s’ennuie et c’est pour cela qu’il va au théâtre, pour se fuir lui-même et se libérer de son angoisse, pour faire cesser  en lui ce vide, cette vacance qui lui donne le vertige et le dégoût de lui-même, pour chercher à communiquer et à partager avec les autres, pour se mêler, se fondre au sein de cette masse humaine qui est assise dans la salle par rangée et qui regarde. C’est pour cela qu’il va au théâtre pour se mieux connaître, pour se sentir vivre, pour reprendre possession de lui, pour espérer, pour exister, pour se délivrer de cette attente et de cette interrogation  incessantes au fond de lui ne sachant de rien de comment cela commence et cela fini. C’est pour cela qu’il va au théâtre, pour y trouver une foi, une croyance, pour y trouver peut-être je ne sais quels souvenirs anciens, pour réveiller en lui un passé obscur, pour chercher un espoir, pour s’emplir, pour s’accomplir et aussi pour se libérer dans ce refuge, dans ce faux paradis, dans ce lieu que des métamorphoses dérisoires, des supercheries puériles, une magie enfantine rendent le plus vain, le plus fallacieux, le plus inutile de tous les lieux humain mais où l’homme apporte cependant ce qu’il a de plus pur, de plus désintéressé, de plus sincère au moment où il y pénètre. C’est pour cela que l’homme va au théâtre.

Le théâtre selon Jean Giraudeau. Si tout ce public, les lumières baissées et les mains tendues et recueillies dans l’ombre, c’est pour se perdre, se donner et s’abandonner. Cela concerne également le comédien. S’il est là lui aussi dans la coulisse tendu et recueilli, prêt à entrer dans le piège lumineux du décor, c’est lui aussi pour se perdre, se donner et s’abandonner et se laisser remettre dans l’émotion universelle. Le théâtre est un acte d’amour, une entreprise de tendresse. Tout n’est que besoin de communication et de communion.

Et enfin le théâtre vu par Louis Jouvet qui insiste sur l’amour et la générosité.

Il n’y a pas de grand théâtre sans générosité, sans mutuelles affections. Il n’y a pas de grands auteurs  sans émoi, sans pudeur et sans tendresse. La pièce de théâtre n’est jamais une volonté, elle est un message, une grande pièce de théâtre n’est pas un parti pris. C’est la délivrance d’un état intérieur pour l’auteur comme pour nous. Elle est d’abord un moyen de fuir la vie, de l’amplifier même en la raillant. Elle est surtout pour lui le moyen de l’embellir, le moyen de nous parler, de nous exhorter et d’établir entre les hommes une communication et un courant de sympathie et d’amitié quel que soit le poète, quelle que soit l’organisation du divertissement, son ton et son langage. Les grandes œuvres s’apparentent par des traits communs de générosité, de courage, de sensibilité, d’humanité qui sont le secret de cet art. Toutes les œuvres dramatiques vivent, existent et gagnent une survie par leur pouvoir d’atteindre au plus intime dans l’homme, par ces correspondances qui font ressembler le spectateur d’une époque à l’homme de tous les temps. Les œuvres dramatiques survivent dans la mesure où elle s’adresse à l’homme et lui restituent son sentiment humain.

Et enfin je vais terminer cette chronique par une citation toujours de Louis Jouvet :

« Rien n’est plus futile, de plus faux, de plus vain et de plus nécessaire que le théâtre. » Je vous remercie beaucoup pour votre écoute. A très vite et vive le théâtre !